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Un chèque émis par un tiers en période suspecte peut-être annulé ?

Yanis GANDRILLON

16 juin 2023

Droit des sociétés

Dans un arrêt du 24 mai 2023 (Cass. Com., 24 mai 2023, n° 21-21.424), la Chambre commerciale de la Cour de cassation décide qu’un chèque émis en période suspecte par un tiers peut être rapporté à la procédure collective.



Au cas d’espèce, des fonds dus à une société sont versés, après que des saisies-attributions aient été réalisées à cette fin, sur le compte CARPA d’un avocat qui défend la société dans un litige.

 

Sur autorisation de la société, la CARPA émet un chèque au profit de l’avocat en paiement de ses honoraires (environ 200.000 €).


Quelques jours plus tard, la société est mise en redressement judiciaire, lequel sera ultérieurement converti en liquidation judiciaire.



En vertu de l’article L. 632-1 du Code de commerce, certains actes intervenus entre la date à laquelle le débiteur a cessé ses paiements et celle à laquelle il fait l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire (période dite « suspecte ») sont nuls.


Si le paiement d’un chèque pendant cette période ne tombe pas sous le coup de cette nullité, l’article L. 632-3 du Code de commerce prévoit néanmoins que le bénéficiaire du chèque peut être condamné à restituer les fonds perçus à la procédure collective s’il avait connaissance de la cessation des paiements du débiteur (« action en rapport »).



Au cas d’espèce, la Cour d’appel de Paris décide, sur le fondement de l’action en rapport, que, le chèque ayant été émis durant la période suspecte, son montant devait être rapporté à la procédure collective de la société.


L’avocat conteste cette décision au motif principal que le chèque n’avait pas été émis par la société objet de la procédure collective et, qu’en tout état de cause, il n’avait pas eu connaissance de l’état de cessation des paiements de la société à la date du paiement.



La Cour de cassation écarte l’argument principal et décide qu’un paiement par chèque effectué par un tiers pour le compte du débiteur, intervenu depuis la date de cessation des paiements, est soumis à l’action en rapport dès lors que les fonds du débiteur ont constitué la contrepartie permettant l’émission de ce chèque et que son bénéficiaire avait connaissance de l’état de cessation des paiements du débiteur.


La Cour de cassation décide donc que, pour que l’action en rapport puisse prospérer dans un tel cas, les fonds du débiteur doivent avoir constitué la contrepartie ayant permis l’émission du chèque par le tiers et que, conformément aux dispositions de l’article L. 632-3 du Code de commerce, le bénéficiaire du chèque doit également avoir eu connaissance de l’état de cessation des paiements du débiteur



En l’espèce, le paiement litigieux avait été effectué par un chèque émis au moyen de fonds déposés sur un compte ouvert à la CARPA au nom de la société et après autorisation de cette dernière. Ces fonds, propriété de la société, avaient donc constitué la contrepartie ayant permis l’émission du chèque.


Ainsi, ce chèque, remis à l’avocat en paiement de ses honoraires, alors qu’il connaissait l’état de cessation des paiements de la société, constituait un paiement effectué par un tiers pour le compte de la société débitrice et était ainsi soumis à l’action en rapport.



La preuve de la connaissance par l’avocat de l’état de cessation des paiements de sa cliente résulte en l’espèce d’un « faisceau d’indices concordants » établi par la Cour d’appel de Paris et sur lequel ne revient pas la Cour de cassation.


La Cour d’appel de Paris relève notamment que l’avocat avait assisté sa cliente dans une procédure de conciliation au cours de laquelle des délais de paiement avaient été obtenus à raison de difficultés de trésorerie et que seuls onze jours s’étaient écoulés entre la date du paiement et la date de déclaration de cessation des paiements, laquelle était donc nécessairement en cours de préparation à la date du paiement.



La solution interdit donc à un créancier de percevoir, via un tiers et durant la période suspecte, un paiement effectué en réalité avec les fonds du débiteur, à moins que le créancier n’ait ignoré la cessation des paiements de ce dernier.


En pratique, l’enjeu principal pour le demandeur à l’action en rapport sera d’être en mesure de constituer un faisceau d’indices concordants permettant de rapporter la preuve de la connaissance par le bénéficiaire du chèque de l’état de cessation des paiements du débiteur dont les fonds ont constitué la contrepartie en ayant permis l’émission.

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