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La contribution aux pertes des associés en société : une obligation différée jusqu'à la liquidation

Yanis GANDRILLON

9 juin 2023

Droit des sociétés

Dans un arrêt de février 2023 (Cass. com., 15 févr. 2023, n° 20-22.018), la Chambre commerciale de la Cour de cassation décide que, sauf stipulation contraire des statuts, la contribution des associés aux pertes ne s’exécute qu’à la liquidation de la société.


Ainsi, en l’absence d’obligation de contribution aux pertes en cours de vie sociale, une dette représentant les pertes subies par la société au titre d’un exercice ne peut être inscrite au débit du compte courant d’un associé.



Un juge de l’exécution autorise une société civile à pratiquer une saisie conservatoire sur le compte bancaire d’une de ses associées, en garantie d’une créance correspondant au solde débiteur de son compte courant d’associé, lequel solde débiteur provenait de l’inscription au débit du compte courant des pertes subies par la société au cours d’un exercice social.


L’associé assigne la société civile en rétractation de cette ordonnance et en mainlevée de la saisie conservatoire, ce qui est accordé en appel.


La société civile forme alors un pourvoi en cassation en soulignant que « le solde débiteur d’un compte courant d’associé, lequel s’analyse en un prêt, constitue une créance de la société contre l’associé débiteur, exigible à tout moment ».



Au visa de l’article 1832, alinéa 3 du Code civil, la Cour censure l’arrêt d’appel pour défaut de base légale et rappelle qu’ « il résulte de ce texte que, sauf stipulation contraire des statuts, la contribution aux pertes s’apprécie lors de la dissolution de la société ». 


En l’espèce, le solde débiteur du compte courant résultait de l’affectation des pertes de la société alors que les statuts de la société ne contenaient aucune disposition prévoyant une répartition des pertes entre associés en cours de vie sociale. 



Dès lors que, en l’absence de stipulation statutaire contraire, la contribution des associés aux pertes de la société ne s’exécute qu’à la liquidation de celle-ci, la Cour retient que le solde débiteur du compte courant d’un associé résultant de l’affectation des pertes de la société ne constitue une créance exigible qu’à la liquidation de la société.


Partant, la société civile ne justifie antérieurement à sa liquidation d’aucune créance fondée en son principe, et la saisie conservatoire en garantie est alors impossible à défaut de créance principale fondée en son principe (article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution).



La solution aurait été similaire s’il avait été question de l’obligation à la dette et non de la contribution aux pertes.


En effet, alors même que les associés des sociétés civiles répondent des dettes sociales en application de l’article 1857 du Code civil, et que ce recours peut être exercé à tout moment et notamment en cours de vie sociale par un créancier social ayant préalablement mis en demeure la société de s’acquitter de son obligation, l’obligation à la dette ne concerne pas les relations entre la société et l’associé mais bien celles entre la société, ou ses associés le cas échéant, et les créanciers sociaux.


Là encore, la société civile n’aurait donc pu justifier d’aucune créance contre son associé justifiant une inscription au débit de son compte courant.



Dans le silence des statuts, le gérant aurait pu tenter d’obtenir une contribution aux pertes en cours de vie sociale s’il avait obtenu une décision unanime des associés. 


Une telle décision n’aurait en effet pu être adoptée qu’à l’unanimité des associés en ce qu’elle aurait emporté une augmentation de leurs engagements (article 1836 du Code civil), étant précisé que l’unanimité s’entend alors de la totalité des consentements des associés et non uniquement des associés présents et représentés (Cass. 3e civ., 5 janv. 2022).



Il ressort de cet arrêt qu’un associé minoritaire ne peut jamais, à défaut de stipulation statutaire contraire, être tenu de contribuer aux pertes en cours de vie sociale.


Ainsi, sauf stipulation statutaire en ce sens ou décision unanime des associés, une société ne saurait affecter les pertes constatées au cours d’un exercice au passif d’un compte courant d’associé et ne saurait, a fortiori, faire pratiquer une saisie conservatoire sur le compte bancaire de son associé, en garantie de ladite créance, laquelle ne deviendra exigible qu’à la liquidation de la société.

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