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Concurrence déloyale et société en formation

Yanis GANDRILLON

2 juin 2023

Droit des sociétés

Dans une décision en date du 17 mai 2023 (Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 mai 2023, n° 22-16.031, Publié au bulletin), la Chambre commerciale de la Cour de cassation précise tant la notion d’acte de concurrence déloyale dans un contexte de société en formation que les contours de l’imputation de l’acte fautif à ladite société en formation.



Une SAS a assigné une société exerçant une activité similaire d’ingénierie industrielle et d’études techniques, créée par deux de ses anciens salariés, en paiement de dommages et intérêts, lui reprochant des faits de concurrence déloyale.


L’ancien responsable du développement commercial de la SAS, devenu dirigeant de la société nouvellement créée, s’était envoyé depuis son adresse courriel professionnelle au sein de la SAS, et avant donc son licenciement, divers actes commerciaux dont une liste de clients potentiels vers son adresse courriel personnelle.



Par décision du 5 mai 2022, la cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 5 mai 2022, n° 18/04705) a condamné la société nouvellement créée à verser à la SAS une indemnité de 15.000 euros pour trouble commercial, aux motifs qu’elle s’était rendue coupable d’actes de concurrence déloyale en ayant détourné, par l’intermédiaire de son dirigeant, des documents commerciaux dont la SAS avait la propriété.


La société nouvellement créée a alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation.



Dans un premier temps, la Cour de cassation approuve la cour d’appel, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, d’avoir décidé que la seule détention ou appropriation d’informations confidentielles appartenant à une société concurrente et apportées par un ancien salarié, même non spécifiquement tenu par une clause de non-concurrence, constituait un acte de concurrence déloyale.


La Cour précise en ce sens que la circonstance que la société nouvellement créée n’ait finalement pas effectivement utilisé les données transférées n’est pas de nature à exclure la faute de concurrence déloyale.



Néanmoins, dans un second temps, la Cour de cassation censure la cour d’appel d’avoir considéré que l’acte de concurrence déloyale était imputable à la société nouvellement créée à raison de faits commis par son dirigeant.


Pour ce faire, la Cour de cassation ne se place pas sur le terrain de la reprise par la société en formation des actes conclus antérieurement à son immatriculation par son dirigeant (article L. 210-6 du Code de commerce) mais sur le terrain du droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle (article 1240 du Code civil).


En ce sens, la Cour d’appel de Paris avait déjà pu décider que le régime de reprise par la société en formation des engagements souscrits pour son compte par ses fondateurs ne pouvait concerner des faits de concurrence déloyale, lesquels constituent des délits civils (Paris, 24 février 1977).



La Cour de cassation rappelle que c’est à bon droit que la cour d’appel avait pu considérer qu’il résulte de l’article 1240 du Code civil que la faute de la personne morale résulte de celle de ses organes.


En revanche, la Cour de cassation constate que dès lors qu’à la date des faits litigieux l’ancien salarié de la SAS n’était pas encore dirigeant de la société nouvelle, à raison du fait que celle-ci n’était encore ni constituée ni immatriculée, la faute de concurrence déloyale commise par l’ancien salarié de la SAS ne pouvait aucunement engager la responsabilité de la société non encore constituée dont il allait ultérieurement devenir dirigeant.


La Cour de cassation censure donc la cour d’appel sur ce point.



Ainsi, il résulte d’abord de cet arrêt que la détention ou l’appropriation d’informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportées par un ancien salarié de celle-ci, même non tenu par une clause de non-concurrence, constitue un acte de concurrence déloyale, sans qu’il ne soit besoin d’établir que ces informations ont effectivement été utilisées par la société bénéficiaire de ce transfert.


En outre, cet arrêt confirme que la faute d’une société résultant de celle de ses organes, la responsabilité de la société ne peut être engagée si elle n’était ni constituée ni immatriculée à la date des faits litigieux commis par celui qui n’en était pas encore son dirigeant.

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